City Life

Lier éducation populaire et luttes : City Life – Vida Urbana

Je reproduis ici le chapitre que j’avais écrit pour contribuer à l’ouvrage « Pédagogies critiques », coordonné par Laurence De Cock et Irène Pereira, et publié aux éditions Agone en janvier 2019.
Ce chapitre est titré L’éducation populaire : des pratiques pédagogiques émancipatrices pour adultes entre conscientisation et développement du « pouvoir d’agir ».

J’y décris comme une organisation qui lutte contre les expulsions immobilières, City Life – Vida Urbana, met en place de puissants processus d’éducation populaire pour ses membres, en lien avec cette lutte collective. Une organisation que j’ai observé et à laquelle j’ai participé en tant qu’alliée lors de mon séjour aux États-Unis de septembre à décembre 2017, et qui est extrêmement inspirante.


L’éducation populaire : des pratiques pédagogiques émancipatrices pour adultes entre conscientisation et développement du « pouvoir d’agir »

L’éducation populaire désigne un processus visant l’émancipation de toutes et tous, et nous nous intéresserons ici particulièrement à celle des adultes. Cette émancipation doit se réaliser à deux niveaux : il s’agit d’une part de sortir des évidences, de remettre les choses en question, grâce à des prises de conscience [1] ; et d’autre part de sortir de l’impuissance, de se sentir capable d’agir, grâce à des expériences concrètes. Après un rapide panorama de l’éducation populaire en France, on prendra l’exemple d’une organisation états-unienne, ce qui nous permet de décaler notre regard. Cette organisation fait de l’éducation populaire : libération et la conscientisation collectives d’une part, et sortie de l’impuissance par le passage émancipateur à l’action d’autre part. Mais au-delà, elle réussit à lier ces deux aspects propres à l’éducation populaire avec deux objectifs supplémentaires : le soutien direct à des personnes en grande difficulté et l’action effective pour transformer la société.

L’éducation populaire actuelle en France

L’éducation populaire est un processus que l’on peut trouver dans des cadres très divers. Les associations dites d’éducation populaire, c’est-à-dire disposant de l’agrément « Jeunesse et éducation populaire », sont le plus souvent présentes loin des quartiers bourgeois et mènent un travail important en termes de culture (notamment de pratiques culturelles et de leur partage), d’échanges, de vie locale. Depuis les années 1970, leur professionnalisation – a priori conçue comme une victoire – les pousse irrésistiblement vers une forme d’institutionnalisation et un éloignement de la réalité dans laquelle ces associations s’inscrivent. Le plus souvent, les professionnels et les professionnelles ne sont pas issu·es du quartier, et ne se sont pas engagé·es au préalable en tant que membres de l’association. Cependant, en tant que militant·es, ce sont des cadres qu’on aurait tort de négliger par excès de purisme : charge à nous de nous investir et de créer les marges de manœuvre dont nous avons besoin.

Les mouvements de lutte (syndicats, solidarité militante telle que Droit au logement, luttes de sans-papiers, balbutiements du community organizing sur lequel nous reviendrons, etc.) et les mouvements de changement de pratiques (groupes luttant ou mettant en place des formes de démocratie directe, organisations fonctionnant en autogestion, etc.) poursuivent en priorité des objectifs concrets. Si ces objectifs peuvent faire passer la préoccupation d’éducation populaire au second plan, il est possible, en s’y impliquant, de proposer d’y créer des espaces pour la discussion, le débat, la construction et la transmission de savoirs.

Enfin, toutes les activités – école, art, journalisme, travail social, animation, etc. – qui peuvent être soit des cadres de conformation et de légitimation, soit des lieux de subversion et de conscientisation sont des activités que nous devons absolument nous réapproprier, à la fois directement et en créant des cadres alternatifs.

L’essentiel n’est donc pas le lieu, mais la pratique. Parce que l’éducation populaire relève de la culture au sens des fondements de la dignité individuelle et collective, et que celle-ci trouve son expression dans tous les aspects de la vie, il est nécessaire de créer des interstices, de disposer de lieux, d’occasions, de réseaux, qui permettent de se rencontrer et d’échanger de façon informelle. Et parce que l’éducation populaire n’a de sens que dans une perspective de transformation sociale, c’est toujours dans les luttes qu’elle sera la plus pertinente.

L’exemple de l’organisation City Life – Vida Urbana

L’organisation City Life – Vida Urbana (CLVU) existe à Boston, Massachusetts, depuis 1973. Aujourd’hui, son objet principal est celui de la lutte contre les expulsions immobilières (de locataires et de propriétaires, notamment depuis la crise de 2008). Elle s’inscrit dans le mouvement qu’on qualifie aux États-Unis de « radical community organizing », et qui, en de nombreux points, s’apparente aux démarches d’éducation populaire. L’organizing, méthode d’organisation syndicale élargie hors du monde du travail par Saul Alinsky dans les années 1930 aux États-Unis, est aujourd’hui outre-Atlantique une pratique extrêmement diversifiée : sa version radicale se défend d’ailleurs d’appliquer les principes qui étaient ceux d’Alinsky, considérés trop réformistes. Les personnes qui rejoignent CLVU sont le plus souvent dans des situations d’urgence dramatique : dans le Massachussetts, il n’est pas illégal d’expulser en un mois un ou une locataire qui n’a aucun tort. Mais on peut toujours s’y opposer, retarder cette expulsion voire l’empêcher. Les personnes qui viennent demander du soutien à CLVU pensent généralement à un soutien légal : quand elles appellent pour solliciter ce soutien, on les invite à venir à l’assemblée hebdomadaire du mardi soir, où une équipe d’étudiants et d’étudiantes en droit reçoit individuellement les gens pour étudier leur cas. C’est leur de cette assemblée que les personnes vont découvrir tout autre chose.

Entre cinquante et cent personnes, appartenant pour beaucoup aux groupes sociaux les plus opprimés (pauvres, racisés et racisées, femmes), se réunissent chaque semaine dans un lieu qui accueille de nombreuses organisations qu’on pourra qualifier pour simplifier, de notre point de vue français, d’associatives. Il y a des pizzas, et des discussions : le silence est l’ennemi du groupe, alors on commence l’assemblée en lançant plusieurs fois le slogan fétiche : « When we fight ? We win! » (« Quand on se bat ? On gagne ! »). Une traduction en espagnol est toujours proposée par une traductrice bénévole. Ensuite, un ou une membre lit pour tous et toutes la mission de l’organisation : « City Life – Vida Urbana est une organisation de membres impliquée dans la lutte pour la justice raciale, sociale et économique ainsi que pour l’égalité des genres en construisant le pouvoir de la working class. Nous défendons l’empowerment individuel, nous accompagnons la formation d’animateurs et d’animatrices de lutte [community leaders] et nous construisons le pouvoir collectif pour obtenir des changements systémiques et transformer la société ». Puis un ou une autre membre prend la parole pour dire à l’assemblée ce que City Life représente pour lui ou pour elle. Ces prises de parole, qui permettent aux unes et aux autres de s’impliquer dans l’animation de l’assemblée sur des missions qui peuvent être relativement simples, se font debout, soit depuis son siège, soit en se déplaçant à l’avant de la salle : il n’y a pas de tribune figée.

Ensuite, on fait le point sur les actions de la semaine qui vient de passer. Des membres font des compte-rendus des actions auxquelles ils ont participé : cela va du lobbying citoyen (nécessaire et extrêmement commun aux États-Unis où la politique se fait à coup de pression et d’argent) à des actions directes de blocage d’expulsion, en passant par la participation à des événements de quartier et la présence en soutien lors de passage au Tribunal. Ces actions concernent l’activité de l’organisation, mais également celle d’autres organisations dont on se sent solidaires : syndicats, lutte pour le système de santé, défense des écoles publiques, etc. Cette ouverture sur l’extérieur et sur d’autres luttes est cruciale pour lier les enjeux propres à l’organisation à une question de société plus large. Ces compte-rendus sont rapides, mais ils sont toujours l’occasion de se former. Ainsi, l’organisateur ou l’organisatrice – ainsi que sont dénommé·es les permanent·es d’une community organization – prend soin de poser des questions pour inviter la personne à préciser le contexte, la stratégie, la tactique : « Pourquoi être allés protester face à cette entreprise, en quoi est-elle liée à la situation ? », « Est-ce qu’ils ont le droit de procéder à cette expulsion ? ». L’organisateur ou l’organisatrice verbalise également l’émancipation en cours : « Tu avais déjà fait une action comme ça ? Qu’est-ce que tu en as pensé ? ». Et puis on célèbre les victoires quand il y en a, l’occasion de refaire retentir un slogan. Chacune de ces présentations est l’occasion de rappeler qu’on refuse la légitimité à procéder à des expulsions pour faire du profit.
Le point suivant à l’ordre du jour est l’accueil des nouveaux et nouvelles venues (il y a généralement entre cinq et dix nouvelles personnes à chaque assemblée). À cette étape, ceux-ci et celles-ci commencent à comprendre où iels sont arrivés. Et c’est alors qu’on les appelle pour qu’iels se présentent à l’assemblée. Iels sont invité·es à se regrouper à l’avant de la salle. En une minute, chacun et/ou chacune explique son cas – souvent dramatique –, et on note au tableau les éléments principaux. Un organisateur ou une organisatrice approche alors avec une épée et un bouclier en carton grandeur nature. Il ou elle explique la stratégie de l’organisation : l’épée symbolise toutes les actions de protestation publique et de pression sur les propriétaires et les banques que l’on va faire ensemble, le bouclier représente le fait qu’on va se former pour connaître nos droits, et que des avocats bénévoles vont nous conseiller. Après avoir fait cette présentation, l’organisateur ou l’organisatrice procède à l’échange qui est un rituel d’intégration dans l’organisation : « Est-ce que vous voulez vous battre pour rester dans votre maison ? », leur crie-t-iel en levant son épée, « Oui ! », sont-iels censé·es répondre. Mais leur première réponse est souvent timide. Alors l’Assemblée fait « Bouh » et « Quoi, on n’entend rien ?! ». L’organisateur ou l’organisatrice repose alors sa question en criant encore plus fort, tandis que l’assemblée joue à s’exciter. Alors les nouveaux et nouvelles répondent en criant à leur tour « Oui ! ». L’organisateur : « Et vous savez quoi ? ». Et toute l’Assemblée de crier en chœur : « On va se battre avec vous ! ». Par ce rituel, l’intégration au groupe se fait, et le principe de solidarité est posé. Si des nouveaux ou nouvelles refusent d’aller se présenter, l’organisateur ou l’organisatrice leur dit clairement « Si vous ne venez que pour voir un·e avocat·e, ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne ici. Il y a des gens qui vont se battre avec vous, pour vous, volontairement. On ne vous force pas à vous battre pour les autres, mais on ne se battra pour vous, et on veut savoir pour qui on se bat. ».

C’est après la réalisation de ce rituel que l’équipe d’étudiants et d’étudiantes en droit commence à recevoir, dans l’arrière salle, les personnes qui demandent à être conseillées sur leur cas particulier. Mais l’assemblée continue pendant ce temps là : on va parler des actions de la semaine à venir. Le répertoire d’action est toujours aussi large. Pour certaines actions, on demande des volontaires, et on applaudit celles et ceux qui s’inscrivent.

Enfin vient le point d’orgue de la réunion : une heure (sur une Assemblée d’une durée totale de deux heures, durée toujours respectée) consacrée à une discussion politique sur un sujet toujours différent, et souvent avec une personne qui vient de l’extérieur pour enrichir le débat (pas pour le diriger). Une fois, on parlera du contrôle des loyers – quelles questions cela pose, quels sont les points forts et les limites de cette mesure, est-ce que c’est une revendication que l’on veut porter ? –, une autre, du récent tremblement de terre à Mexico ou des suites de l’ouragan à Puerto Rico ; on pourra aussi parler des hôpitaux et du fait qu’ils soient exonérés fiscalement, des prêts étudiants – comprendre le caractère systémique du problème, que si les personnes se sont faites avoir, ce n’est pas par hasard -, ou traiter des sujets internes tels que ce que cela signifie d’être un membre-leader de l’organisation, ou encore prendre le temps de faire collectivement une vraie analyse-bilan d’une action qui n’a pas très bien fonctionné.

Les organisateurs et organisatrices et les autres membres vont toujours encourager les nouvelles personnes à prendre une part active dans l’organisation. Si elles le souhaitent, ces personnes vont donc être accompagnées pour organiser leur défense, au-delà de l’aide juridique fournie gratuitement, sur différents champs : mobilisation des autres victimes potentielles si l’expulsion est collective, action directe collective de blocage en cas d’expulsion effective, action plus large de dénonciation, d’interpellation et de lobbying auprès des élus et élues ainsi que des responsables de l’expulsion, etc.

L’organisateur ou l’organisatrice va encourager et accompagner la personne de façon à ce qu’elle fasse un travail de mobilisation auprès de ses voisins et voisines, s’iels sont elleux-aussi menacé·es d’expulsion. Les alliés et alliées qui proposent leur aide à CLVU pourront être chargé·es d’aider sur cette tâche. Il s’agit le plus souvent d’aller faire du porte-à-porte et de réussir à organiser une réunion collective.

Le débouché pourra être de créer une association de locataires. Il s’agira d’agir collectivement, de connaître ses droits et de savoir comment réagir à ce qui peut arriver, mais également d’étudier quel·les sont les acteurs et actrices en jeu, leur rôle, leur pouvoir, les points sur lesquels on peut faire pression sur elleux, et la façon dont il serait le plus pertinent de faire pression. De déterminer la stratégie et la tactique pour se défendre.

L’organisateur ou l’organisatrice, au travers de l’ensemble de ce processus, accompagne les personnes, leur transmet des informations et des méthodes, les met en confiance, tout en ne leur faisant pas de fausses promesses : la première stratégie est de gagner du temps. La majorité des organisateurs et organisatrices sont elleux-mêmes passé·es par cette expérience, iels sont arrivé·es à CLVU parce qu’iels étaient menacé·es d’expulsion : iels peuvent donc témoigner de leur propre expérience (pas toujours victorieuse, mais toujours émancipatrice) ainsi que de celles des autres membres de l’organisation.

L’organisateur ou l’organisatrice poussera également toujours les membres à agir en solidarité les un·es avec les autres. Très régulièrement, en assemblée ou au cours des discussions, la définition de la solidarité est rappelée : « Quand ils vous attaquent, c’est moi qu’ils attaquent aussi. Et quand ils m’attaquent, c’est vous qu’ils attaquent aussi. ».

Les membres qui le souhaitent pourront par ailleurs participer à une formation lors de laquelle on réfléchira notamment sur les textes cadres de l’organisation, qui définissent la stratégie et les tactiques utilisées par celle-ci : cela leur permettra de monter en responsabilité au sein de l’organisation. Celleux qui ne le souhaitent pas pourront s’en tenir à agir pour défendre leur logement et, s’iels le peuvent, celui des autres membres. Parmi les personnes les plus assidues aux assemblées et aux actions, certaines n’ont pas ou plus de cas en cours les concernant : ils et elles sont là car tous les combats sont liés.

Lier conscientisation à action transformatrice

L’exemple de City Life – Vida Urbana permet de comprendre des enjeux cruciaux pour l’éducation populaire. L’association parvient en effet à mettre en œuvre dans ce domaine des processus réellement ancrés dans le réel. On retrouve les deux axes qui caractérisent l’éducation populaire : d’une part la libération et la conscientisation collective, et d’autre part la sortie de l’impuissance par le passage émancipateur à l’action. Au-delà, CLVU parvient à faire ce qui est souvent si difficile à réaliser : lier ces processus d’éducation populaire d’une part avec le soutien direct à des personnes en grande difficulté, et d’autre part avec la transformation effective de la société.

Si l’éducation populaire n’est pas liée à des cas concrets, alors elle court le risque d’être une forme de « consommation culturelle » : on viendrait apprendre, se libérer, réfléchir. Lorsque l’éducation populaire prend cette forme, déconnectée de cas concrets qui nous concernent, elle n’arrive généralement pas à provoquer des passages émancipateurs à l’action, et encore moins des transformations dans la société. Elle ne concerne alors généralement que des personnes qui ont le temps et la disponibilité d’esprit pour s’interroger sur le fonctionnement du monde et de notre système. Dans ces cas, on espère que les prises de conscience entraîneront des passages à l’action, par exemple en rejoignant des organisations de lutte, mais dans les faits cela n’a rien d’automatique.

En effet, on est souvent tenté·e de croire que le savoir constitue la source à la fois des prises de conscience et des passages à l’action. Or c’est généralement faux. D’abord, si le savoir nourrit notre conscience des choses, ce qui nous donne en revanche envie d’en savoir plus et de comprendre mieux, c’est précisément le fait d’être déjà dans un processus de prise de conscience. Ensuite, nous avons mille preuves que savoir ne suffit pas pour agir. C’est donc autre chose qui provoque des déclenchements. C’est quand nous sommes directement affecté·es que nous prenons conscience et/ou que nous passons à l’action : quand quelque chose, qui pourra sembler insignifiant à d’autres personnes, nous touche particulièrement, pour des raisons le plus souvent très personnelles. Ainsi, c’est presque toujours à l’occasion de détours qu’adviennent les déstabilisations qui pourront créer des prises de conscience : c’est pourquoi l’éducation populaire est un processus qui se mène sur le temps long et au gré d’activités qui peuvent être très diverses.
Par ailleurs, le passage à l’action est nécessaire si l’on veut réellement être dans des démarches émancipatrices : on ne se libère pas que par l’esprit. On ne devient pas capable quand on nous dit qu’on l’est, mais quand on se rend compte effectivement qu’on l’est. Or nous avons tous et toutes intégré un certain nombre de déterminismes, de comportements par lesquels nous nous auto-limitons, nous nous auto-censurons. Dépasser ces obstacles est loin d’être chose aisée : cela nécessite du temps, d’avoir confiance en soi et de faire confiance aux autres. Les jeux de rôles sont pour cela un moyen utile pour s’entraîner à adopter des comportements autres que ceux que nous avons intégrés du fait de notre situation dominée et de notre anticipation de l’échec.

La posture avant les méthodes

Réussir à faire cela est une discipline : les organisateurs et organisatrices ainsi que et les membres les plus impliqué·es de City Life – Vida Urbana portent de façon très claire le positionnement de l’organisation. Celle-ci aide toutes les personnes menacées d’expulsion. Il est nécessaire que ces personnes viennent le plus souvent possible aux assemblées du mardi soir, car c’est là qu’elles tireront l’énergie et la compétence qui naît d’une part de la libération et de la conscientisation, et d’autre part de la solidarité : favoriser ces deux processus est l’objectif des assemblées. Les personnes sont par ailleurs invitées à passer à l’action, à mobiliser autour d’elles, à organiser et réaliser des actions qui contribueront à leur défense ; elles seront accompagnées pour cela par le collectif. Elles sont enfin invitées à construire CLVU en tant que telle : une organisation qui a vocation à durer, qui a donc besoin de se structurer de façon démocratique, et de faire vivre ses partenariats extérieurs pour ne pas se renfermer sur elle-même : CLVU est ainsi un des membres créateur du réseau The Right to the City Alliance, qui regroupe nationalement des organisations de radical community organizing luttant contre les conséquences larges de la gentrification qui fait rage aux États-Unis.

Mais si CLVU est une organisation particulièrement enthousiasmante, on aurait tort de vouloir la poser en modèle. En effet, que peut-on prendre pour modèle ? Il n’y a ni méthode incroyable, ni formule magique, ni recette miracle. Elle a en revanche une posture politique très forte : la conviction qu’il faut se battre et changer les choses, que cela nécessite de se libérer des fausses évidences (l’hégémonie culturelle du système en place qui nous fait croire que les choses ne peuvent pas être autrement), que nous devons agir en solidarité.

L’essentiel, quand on veut se situer dans des démarches d’éducation populaire, est la posture, et non les méthodes. Depuis quelques années en France, on a tendance à fétichiser des méthodes dites d’éducation populaire : des méthodes pour libérer la parole et débattre, des méthodes pour changer de l’éducation traditionnelle « descendante », des méthodes pour décider collectivement, et aujourd’hui le community organizing.

Les animateurs et animatrices d’éducation populaire doivent être en perpétuelle recherche pour réaliser leur ambition. Les outils peuvent aider, mais aucun outil ne provoque, par le simple fait qu’on l’utilise, de la conscientisation et du passage émancipateur à l’action. Au contraire : des outils utilisés de façon déconnectée de leur objet émancipateur peuvent tout à faire avoir des effets nuls, voire contraires. C’est ce qui permet leur récupération néolibérale, évoquée ailleurs dans cet ouvrage.

Ainsi, il y aurait une autre façon, d’apparence pas si différente, de faire ce que fait City Life – Vida Urbana. Ce serait de faire peser la responsabilité sur les gens des « problèmes » qu’ils rencontrent. De considérer que c’est à eux de se prendre en main, qu’il faut qu’ils apprennent à bien gérer leurs affaires (connaître leurs droits) et à répondre convenablement à leurs interlocuteurs (y compris en s’opposant). Mais, si on ne prend pas le temps de créer la solidarité et de prendre conscience qu’au-delà des cas individuels il s’agit qu’une question systémique, que ce n’est pas par accident que tous les gens dans l’assemblée font partie de groupes sociaux opprimés, alors on n’est pas dans un processus d’émancipation mais plutôt sur le versant néolibéral de l’empowerment, celui qui sur-responsabilise les victimes et qui prétend que « Quand on veut on peut ». C’est sur ce versant que l’éducation populaire doit prendre garde de ne pas tomber quand elle se concentre sur la question du pouvoir d’agir.

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