Pavillons

Pourquoi les pauvres votent à droite ?

Comment expliquer qu’une partie de la classe ouvrière procure aux conservateurs les moyens politiques de démanteler les protections autrefois arrachées par le monde ouvrier ?
Dans la préface du livre de Thomas Franck, « Pourquoi les pauvres votent à droite ? » (paru en août 2013 aux éditions Agone), Serge Halimi livre une analyse passionnante, à découvrir intégralement ici. Pour celles et ceux qui ne veulent pas lire l’intégralité de ce texte, j’en reprends ci-dessous quelques extraits (et j’espère que ça vous donnera l’envie de tout lire !)

Je vous en propose des extraits choisis, l’idée étant de vous donner envie de lire l’ensemble de ce texte…

Extraits choisis

Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait que je les présente ici hors du texte initial. Je ne peux que conseiller la lecture de ce livre.


L’insécurité économique déchaînée par le nouveau capitalisme a conduit une partie du prolétariat et des classes moyennes à rechercher la sécurité ailleurs, dans un univers « moral » qui, lui, ne bougerait pas trop, voire qui réhabiliterait des comportements anciens, plus familiers. L’aspiration au retour à l’ordre (social, racial, sexuel, moral) s’accroît au rythme de la déstabilisation induite par les « réformes » économiques menées par la droite : celle-ci gagne alors sur les deux tableaux, le « traditionnel » et le « libéral ».

En effet, l’ultralibéralisme a fusionné avec le puritanisme en arguant que l’État aurait sapé l’autorité familiale, la moralité religieuse et les vertus civiques en substituant son « humanisme laïc » à l’instruction et à l’assistance d’autrefois dispensées par les voisinages de quartier, les charités, les Églises.

Une réaction conservatrice découle en général d’une appréciation pessimiste des capacités de progrès collectif. À la fin des années 1960 aux États-Unis, la concurrence internationale et la peur du déclassement transforment un populisme de gauche (rooseveltien, optimiste, conquérant, égalitaire, aspirant au désir partagé de vivre mieux) en un « populisme » de droite faisant son miel de la crainte de millions d’ouvriers et d’employés de ne plus pouvoir tenir leur rang, d’être rattrapés par plus déshérités qu’eux.

À mesure que l’identité de la droite se prolétarise et est perçue comme déterminée, masculine et non « naïve », l’identité de la gauche, elle, s’embourgeoise et est perçue comme trop angélique, efféminée, laxiste, intellectuelle.

Parallèlement, l' »élite », jadis associée aux possédants, aux grandes familles de l’industrie et de la banque, devient identifiée à une « nouvelle gauche » exagérément friande d’innovations sociales, sexuelles, sociétales et raciales : la « gauche caviar », en France.

La question sociale a ainsi été redéfinie de manière à ce que la ligne de clivage n’oppose plus riches et pauvres, capital et travail, mais deux fractions du « prolétariat » entre elles : celle qui « n’en peut plus de faire des efforts », et la « république de l’assistanat ».

Dresser la « majorité silencieuse » des petits contribuables qui « n’en peuvent plus » contre une jeunesse à ses yeux dépourvue de reconnaissance, c’est ce que fait Nicolas Sarkozy le 18 décembre 2006, alors qu’il est ministre de l’Intérieur, quand il salua « la France qui croit au mérite et à l’effort, la France dure à la peine, la France dont on ne parle jamais parce qu’elle ne se plaint pas, parce qu’elle ne brûle pas de voitures – cela ne se fait pas ici de casser ce que l’on a payé si cher -, parce qu’elle ne bloque pas les trains. La France qui en a assez que l’on parle en son nom ».

Et le 29 avril 2007 : « Ils avaient proclamé que tout était permis, que l’autorité c’était fini, que la politesse c’était fini, qu’il n’y avait plus rien de grand, plus rien de sacré, plus rien d’admirable, plus de règle, plus de norme, plus d’interdit. […] Voyez comment l’héritage de Mai 68 a liquidé l’école de Jules Ferry, […] introduit le cynisme dans la société et dans la politique, […] contrbué à affaiblir la morale du capitalisme, […] préparé le triomphe du prédateur sur l’entrepreneur, du spéculateur sur le travailleur. […] Cette gauche héritière de Mai 68 qui est dans la politique, dans les médias, dans l’administration, dans l’économie, […] qui trouve des excuses aux voyous, […] condamne la France à un immobilisme dont les travailleurs, dont les plus modestes, les plus pauvres, ceux qui souffrent déjà seraient les principales victimes. […] La crise du travail est d’abord une crise morale dans laquelle l’héritage de Mai 68 porte une lourde responsabilité. […] Ecoutez-les, les héritiers de Mai 68 qui cultivent la repentance, qui font l’apologie du communautarisme, qui dénigrent l’identité nationale, qui attisent la haine de la famille, de la société, de l’Etat, de la nation, de la République. […] Je veux tourner la page de Mai 68 ».

Les transformations sociologiques et anthropologiques ont entraîné un affaiblissement des collectifs ouvriers et militants, qui a conduit nombre d’électeurs aux revenus modestes à vivre leur rapport à la politique et à la société sur un mode plus individualiste, plus calculateur. Ils veulent choisir (leur école, leur quartier) pour ne pas devoir subir ce qu’il y a de pire. Ils estiment avoir du mérite et n’en être pas récompensés. Ils travaillent dur et gagnent peu, guère plus, estiment-ils, que les chômeurs et les immigrés. Les privilèges des riches leur semblent tellement inaccessibles qu’ils ne les concernent plus. À leurs yeux, la ligne de fracture économique passe moins entre privilégiés et pauvres, capitalistes et ouvriers, davantage entre salariés et « assistés », Blancs et « minorités », travailleurs et fraudeurs.

 Sarkozy, dans ce discours du 22 juin 2006, opposait la France « qui se lève tôt » à celle des « assistés », jamais à celle des rentiers : « Et à ceux qui ont délibérément choisi de vivre du travail des autres, ceux qui pensent que tout leur est dû sans qu’eux-mêmes doivent rien à ersonne, ceux qui veulent tout tout de suite et sans rien faire, ceux qui, au lieu de se donner du mal pour gagner leur vie, préfèrent chercher dans les replis de l’histoire une dette imaginaire que la France aurait contractée à leur égard et qu’à leurs yeux elle n’aurait pas réglée, ceux qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une compensation que personne ne leur doit plutôt que de chercher à s’intégrer par l’effort et par le travail, ceux qui n’aiment pas la France, ceux qui exigent tout d’elle sans rien vouloir lui donner, je leur dit qu’ils ne sont pas obligés de demeurer sur le territoire national ».

Ainsi, pendant que [la droite] offre de plantureux abattements fiscaux aux riches, elle promet aux petits, aux obscurs, aux sans-grade le retour à l’ordre, au patriotisme, aux drapeaux qui flottent, aux couples qui se marient et aux jours de chasse avec grand-père.

Et alors que la gauche a choisi de purger son vocabulaire des mots « prolétariat » et « classe ouvrière », Nicolas Sarkozy écrit : « Dans les usines, on parle peu. Il y a chez les ouvriers une noblesse de sentiments qui s’exprime plus par des silences enveloppés dans une forme extrême de pudeur que par des mots. J’ai appris à les comprendre et j’ai l’impression qu’ils me comprennent ».

Le populisme de droite a pris pour cible principal l’élite de la culture, protégeant ainsi l’élite de l’argent. Il n’y est parvenu que parce que la suffisance de ceux qui savent est devenue plus insupportable que l’impudence des possédants. L’isolement social de la plupart des intellectuels, des « experts », des artistes, leur individualisme, leur narcissisme, leur dédains des traditions populaires, leur mépris des « ploucs » […] ont ainsi alimenté un ressentiment dont [le populisme de droite] fait sa pelote.


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