Démocratie réelle

Mouvements citoyens & initiatives électorales citoyennes

Je reproduis ici un article que j’ai écrit et qui est paru initialement dans le numéro de mars 2017 du mensuel d’Alternative Libertaire (ici).
Cet article était accompagné d’un autre, présentant une expérience concrète d’expérience « citoyenniste » de « démocratie radicale » au niveau local : celle du village de Saillans, dans la Drôme, qui tente de fonctionner selon des principes autogestionnaires depuis les Municipales de mars 2014. À lire ici.

Il s’agissait d’examiner quelques mouvements citoyens, et notamment des initiatives que l’on va voir à l’œuvre au cours de prochains processus électoraux en France. Ces expériences de « démocratie radicale » peuvent-elles renverser ou même subvertir le système ?


Le citoyennisme est-il forcément à jeter ? Les mouvements qui s’en réclament s’inscrivent souvent dans un cycle historique de contestation de l’oligarchie mondiale, qu’elle soit politique, financière ou industrielle. De l’altermondialisme aux mouvements de type Occupy et Indignés, en passant par les révolutions dites du « printemps arabe », la souveraineté des peuples est brandie comme objectif et comme moyen de faire basculer les rapports de force. Nous qualifions ces mouvements de citoyennistes, car nous parions que cette souveraineté ne peut pas être obtenue par la seule « démocratie radicale », mais par la destruction du capitalisme d’abord, sans quoi les peuples, qui ne détiennent pas les moyens de production, n’accéderons ni au pouvoir ni à l’autonomie.

Certains de ces mouvement visent non pas la prise du pouvoir, mais des formes plus ou moins radicales d’empowerment (développement du pouvoir des individus ou des groupes d’agir sur leurs conditions d’existence), comme par exemple – du moins officiellement et/ou jusqu’à ce que cela change – les Colibris, Alternatiba, le community organizing ou Nuit debout. D’autres se lancent dans la bataille électorale pour subvertir les règles politiques en vigueur. Voici les principaux.

Des candidats du peuple à toutes les élections

Pour l’élection présidentielle, LaPrimaire.org annonce ne pas avoir de programme et n’être qu’un outil. 215 personnes ont candidaté sur le site, et c’est finalement Charlotte Marchandise qui, élue par les internautes, bénéficie du « kit présidentiable » lui permettant de faire campagne « d’égal-e à égal-e » avec les autres candidates et candidats.

Sans étiquette ni idéologie politique prédéfinie, Ma Voix s’est créé lors des législatives partielles à Strasbourg en avril 2016 et vise à « hacker l’Assemblée nationale ». Pour les législatives 2017, un tirage au sort sera bientôt effectué parmi des volontaires préalablement formé-es, afin de déterminer qui sera le ou la candidate officielle. Si il ou elle est élue, son mandat sera impératif, et elle ne pourra voter que dans le sens qui lui sera donné par les internautes sur la plateforme dédiée.

Côté élections municipales, La Belle Démocratie veut accompagner la création d’assemblées locales (sur le modèle de Saillans). Il s’agit de se former à des « méthodes et à des outils pour prendre le pouvoir et le partager en-dehors des partis (…). L’horizon fondamental est la reprise en main citoyenne des pouvoirs locaux à l’échelle du bassin de vie au quotidien, en particulier à travers les municipales de 2020. » Début 2017, des dizaines de collectifs semblent en route pour les prochaines municipales (lire article en page suivante).

Des caractéristiques communes

On retrouve souvent dans ces mouvements les éléments suivants :

Ni droite ni gauche

Le vrai clivage se situe entre les oligarques et les « 99 % ». Ces mouvements dénoncent la professionnalisation de la politique, la technocratisation de l’Europe et l’abandon d’une classe politique inféodée aux pouvoirs de l’argent (sauvetage des banques lors de la crise financière de 2008). Ce qui leur importe, c’est que les propositions viennent d’en bas, radicalisation de la démocratie qui constitue souvent l’essentiel de leur projet, par refus d’un programme préconçu, justement. Réticents à toute approche « militante » et aux héritages idéologiques classiques, ces mouvements affirment la nécessité de dialoguer entre personnes qui ne sont pas d’accord, et d’être dans la coconstruction entre toutes et tous, dans une alliance interclassiste.

Pour une démocratie « réelle » et horizontale

Ces mouvements dénoncent la démocratie représentative et le vote comme instrument ultime de la participation à la vie politique. Ils optent pour une démocratie directe, une participation concrète et approfondie, et en appellent à la responsabilité des citoyennes et citoyens. Ils dénoncent en ce sens les partis (et bien souvent aussi les syndicats), ainsi que tout ce qui fait préférer l’expertise (qui confisque le pouvoir) à la démocratie. Défendant la transparence du pouvoir ainsi que la liberté de la presse, ces mouvements peuvent s’appuyer sur une croyance dans les « civic techs », ces outils numériques censés profiter au rapport de force avec les institutions, et/ou rendre le gouvernement plus transparent et collaboratif. En interne, ces mouvements fonctionnent souvent au consensus et au consentement.

Pas d’anticapitalisme, mais des modèles coopératifs

Il est extrêmement rare que ces mouvements nomment le capitalisme sinon pour dénoncer sa « financiarisation », ou ses « erreurs de gouvernance ». Pour transformer la société et l’économie, ces mouvements parient sur les modèles coopératifs et le pair-à-pair : consommation (couchsurfing, covoiturage), modes de vie (coworking, colocation, habitat participatif), finance (crowdfunding, monnaies locales), éducation et savoirs (Mooc ou formations ouvertes et participatives en ligne), alimentation (circuits courts, jardins partagés), production (fab labs)… Ils parlent d’autogestion et affirment la pratiquer. Les membres de ces mouvements mettent souvent en œuvre cette participation et ces alternatives dans leur mode de vie, de façon militante et/ou professionnelle (projets d’économie sociale et solidaire).

Quelle analyse de ces mouvements ?

Ces mouvements ont l’ambition d’être ouverts à toutes et tous et ne demandent pas d’adhésion préalable à un cadre idéologique commun autre que celui du pouvoir au peuple. Ainsi constituent-ils des lieux d’entrée en politique pour un nombre non négligeable de personnes, principalement issues des classes moyennes.

Cependant, l’absence de référence au capitalisme introduit un biais dans les analyses, qui fait croire d’une part qu’il est possible de « démocratiser la démocratie », et que d’autre part cela permettra la liberté et l’égalité. Faute d’entrer sur les questions économiques, ces mouvements sont condamnés à penser dans les cadres actuels, et ne projettent pas beaucoup plus que de réécrire une nouvelle constitution.

Par ailleurs, la croyance aveugle dans les vertus de la délibération collective, sans définition commune préalable de lignes idéologiques (autre que celle du pouvoir au peuple), et avec une faible proportion de membres ayant une formation politique leur permettant d’analyser les questions en jeu, rend ces mouvements relativement poreux au confusionnisme et à l’extrême droite. Néanmoins, il est plusieurs fois arrivé que des exclusions soient prononcées : des individus, démasqués le plus souvent parce qu’ils n’étaient pas dans une démarche de donner réellement le pouvoir au peuple, ont été exclus après un temps de débat et de décision collective.

Enfin, affirmant la supériorité de la démocratie sur l’expertise, ces mouvements refusent totalement les arguments d’autorité et les pressions extérieures. Si cela en fait peut-être, selon deux mots à la mode, des « insoumis ingouvernables », ils le sont autant vis-à-vis des politiques et technocrates que des militantes et militants classiques. Ainsi, à Nuit debout, les membres d’organisations politiques ou de syndicats n’étaient pas toujours bien reçu-es.
Autre illustration : à Saillans, il avait été question d’inviter Étienne Chouard pour une conférence. Des menaces parfois violentes issues du milieu antifa ont conduit à renoncer, mais cela a été vécu comme une atteinte grave à la liberté de débattre. Étienne Chouard n’a donc pas été reçu, mais l’incident n’a absolument pas construit de perspectives de compréhension et de collaboration.

La démocratie plutôt que la justice sociale ?

Le principal angle mort de ces mouvements est la lutte contre le capitalisme en tant que système économique producteur des inégalités contre lesquelles ils entendent se mobiliser. Difficile de penser que ces belles intentions pourront renverser un système qui n’est même pas nommé.

Ces mouvements permettent l’entrée en politique d’un nombre croissant de personnes, principalement issues des classes moyennes. Le risque est que la revendication de démocratie ne prenne le dessus sur celle de justice sociale en cas de grand bouleversement, comme cela a été le cas lors de la révolution tunisienne. Débutée le 17 décembre 2010 avec l’immolation de Mohammed Bouazizi, ces révoltes sociales ont rapidement été confisquées par une classe moyenne plus intéressée par la « liberté » et la démocratie que par les revendications sociales portées par les plus pauvres. Lorsque Ben Ali a quitté le pouvoir le 14 janvier 2011, la joie de la bourgeoisie libérale était plus grande que celle des travailleurs et travailleuses pauvres. Et si finalement tout est rapidement redevenu comme avant, c’est sans doute parce que démocratie et liberté ne sont que vaines espérances sans égalité et dépassement du capitalisme.

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