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La ville sous contrôle sécuritaire – JP Garnier

En novembre 2013, j’avais assisté à une rencontre-débat avec Jean-Pierre Garnier, sociologue français spécialiste des questions de violences urbaines. Il y a été question d’architecture de prévention situationnelle, de prévoir la répression d’insurrections urbaines, de sécurité, de résidentialisation et de reconquête urbaines, d’aliénation désirable et de petite bourgeoisie intellectuelle.

Voici les notes que j’avais prises alors…

Extraits choisis

Ces extraits sont nécessairement sortis de leur contexte du fait qu’ils sont extraits du dialogue initial.


 

L’architecture de prévention situationnelle

La « prévention situationnelle » voit l’architecture et l’urbanisme comme un moyen de diminuer les violences urbaines.
Dans ce cadre, l’espace est pensé par les politiques publiques pour être protecteur et dissuasif : un « espace défensif », selon les mots d’Oscar Newman.
On parle aujourd’hui d’ « architecture de prévention situationnelle » :

  • Pas de toits plats, car ils pourrait servir de plateforme pour balancer des projectiles vers le bas
  • Les loges de gardiens sont au 1er étage, et non au rez-de-chaussée
  • Pas de coursives, car elles permettent de s’enfuir (et les CRS en armures sont beaucoup moins agiles pour sauter de coursive en coursive…)
  • Pas de halls traversants, car ils permettent aussi de s’enfuir
  • Pas de parking au pied des immeubles, afin de libérer l’espace et de permettre l’accès
  • Pas de murets ni d’escaliers à l’extérieur, afin de permettre aux véhicules d’approcher (notamment les blindés)
  • Pas de bancs publics
  • Un éclairage maximal, pour les caméras

La place de l’Hôtel de ville à Paris a été conçue dans cette logique : fontaines et autres bosquets ont été placés de telle manière à, d’une part, rendre la place inaccessibles aux manifestations sauvages, et, d’autre part, être facile à boucler. Par ailleurs, un revêtement granuleux a été choisi, afin de dissuader de s’asseoir par terre.

Aujourd’hui, l’armée se concentre sur les techniques de répression d’insurrections urbaines. Du flashball au taser, la production d’armement est dédiée à la guerre civile. Différents camps militaires dédiés à l’entrainement à la répression d’insurrections urbaines.

De manière générale, actuellement, les réactions policières sont très exagérées par rapport aux risques réels de débordement. Le seuil de tolérance est très bas.

La sécurité… Quelle sécurité ?

Le mot « sécurité » a disparu du vocabulaire. Il a été remplacé, grâce à Chevènement, par « droit à la sûreté ».
À l’origine, la « sûreté », c’était celle du citoyen contre l’arbitraire de l’État. Aujourd’hui, il a changé de sens.

La prévention consiste à dissuader, pas à s’intéresser aux facteurs de troubles. Et dissuader, cela revient à menacer de répression.
Comme disait Lyautey à Madagascar : « Montrer la force pour éviter d’avoir à s’en servir ».

Résidentialisation & reconquête urbaine

La résidentialisation consiste à transformer des espaces publics en des espaces semi-privés (parce que liés à des immeubles par exemple). Cela se fait grâce à des grilles ou des haies qui empêchent d’accéder directement aux immeubles, et qui donnent le sentiment de propriété collective mais privative, ce qui a pour effet d’exclure ceux qui n’appartiennent pas à cette collectivité.

Quant à la reconquête urbaine, cela consiste à déloger les classes populaires des quartiers populaires. Le renouvellement urbain est le renouvellement de la population urbaine.
D’une manière générale, les mots qui commencent par « re- » désignent le fait de faire mieux, mais pour d’autres gens.

Une aliénation désirable

Toute architecture, tout urbanisme traduit une représentation du monde et une hiérarchie. Après la Commune de Paris, on a construit le Sacré-Cœur…
Alors de quoi le pavillonnaire est-il le symptôme ?

Le fait d’acheter son pavillon est pour beaucoup une façon de se réaliser. Être propriétaire est le signe d’une réussite sociale.
Les zones pavillonnaires sont le symbole de l’adhésion au système qui opprime.

Le système pavillonnaire procède de la même injonction paradoxale que celle qui est en œuvre dans l’idéologie managériale : « soyez propriétaire ! » + « soyez mobile ! ».

En disant cela, Jean-Pierre Garnier attire l’attention sur la tentation de tomber dans un mépris de classe. Il est en effet facile, pour qui rêve de devenir propriétaire à Paris, de mépriser les zones pavillonnaires.

Digression : la petite bourgeoisie intellectuelle

Jean-Pierre Garnier considère que la société est divisée entre différents types d’agents :

  • Ceux qui ont des tâches de direction
  • Ceux qui ont des tâches d’exécution
  • Et, entre les deux : ceux qui ont des tâches de médiation : la « petite bourgeoisie intellectuelle », qui sont des agents subalternes de la reproduction de la domination. On y retrouve :
    • L’encadrement : le travail social…
    • La conception : ingénieurs, architectes, chercheurs, secteur médical…
    • L’organisation : les transports…
    • L’inculcation idéologique : la pub, le design, l’éducation, la formation…

À lire, de Jean-Pierre Garnier

  • « Un espace indéfendable – L’aménagement urbain à l’heure sécuritaire ». Ed. Le monde à l’envers, 2012.
  • « Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petit bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires ». Ed. Agone. 2010

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