Radicaux réveillez-vous

Radicaux, réveillez-vous ! Saul Alinsky

Les éditions du Passager clandestin viennent de publier, pour la première fois en France, une traduction du premier livre de Saul Alinsky, le théoricien du community organizing : « Radicaux, réveillez-vous ! », publié initialement en 1946.

Je n’avais encore jamais lu ce livre. J’ai lu en revanche de nombreux autres écrits d’Alinsky, et cela fait bientôt 2 ans que je suis moi-même organisatrice en community organizing. On trouve ici trace de tout cela. Si le community organizing est source d’inspiration pour les luttes collectives et pour l’éducation populaire, et si les autres écrits de Saul Alinsky sont très intéressants, ce livre m’a beaucoup surprise… et déçue. Voici pourquoi.

Alinsky nous abreuve de bons sentiments : on ne pourrait pas lutter pour la justice sociale si l’on n’aime pas tout le monde d’un amour vrai ; le peuple serait en soi bon, il suffirait de lui demander et de l’organiser pour que tout aille bien. Ledit peuple n’est d’ailleurs jamais défini. En revanche, Alinsky nous conte quelques histoires à dormir debout sur des syndicalistes communistes et des prêcheurs fascistes qui se réconcilient comme par miracle, sur les entrepreneurs et les syndicalistes qui doivent comprendre qu’ils ont les mêmes intérêts, et qu’ils ont tous un jour été des bambins gazouillant.

Le capitalisme n’est pas une seule fois nommé, ni en tant que tel (invisibilisé, il ne fait pas partie de l’équation), ni encore moins en tant que cause des inégalités. L’enjeu pour Alinsky se limite à sauver la démocratie. Ce n’est pas une mince affaire, me direz-vous, mais c’est une affaire d’autant moins gagnée (gagnable) si on ne la lie pas au système d’exploitation qu’est le capitalisme… Mais Alinsky semble dans ce livre vouloir s’en tenir à l’ambition de développer le pouvoir des gens et leur capacité à défendre leurs intérêts : autant dire, à défendre leurs miettes.
Cela dit, il faut replacer ce propos dans le contexte de la récente fin de la seconde guerre mondiale, et du début de la guerre froide, où remettre en cause le capitalisme n’était pas chose aisée.

En créant ce qu’il appelle des organisations du peuple, Alinsky affirme ne pas vouloir remettre en cause le système, mais plutôt en réduire les effets négatifs. Il semble tout entier pétri de la démocratie libérale et capitaliste : une bonne démocratie est un système où tous les intérêts s’expriment, où ceux-ci peuvent se confronter et où les contre-pouvoirs sont structurés et puissants. Une société en paix est une société où chacun-e comprend le point de vue et les intérêts des autres : y compris entre patronat et travailleurs. Capitalisme et mécanismes de domination ne font pas partie de l’équation que nous présente Alinsky dans ce livre (ce qui, en ce qui concerne les mécanismes structurels de domination, est surprenant quand on connaît le travail d’Alinsky).

Par ailleurs il ne cesse de se contredire lui-même :

  • Il professe un antisyndicalisme violent, mais quand il nous explique les aménagements que doivent consentir les organisations du peuple pour se développer et fonctionner, on retrouve peu ou prou tout ce qui était reproché au syndicalisme (institutionnalisation, programme préexistant, dirigisme…). À noter que le community organizing est largement dénoncé aujourd’hui aux États-Unis comme faisant partie intégrante du « complexe associativo-industriel » (lire ici mon article sur The revolution will not be funded) soutenant le capitalisme.
  • Il dénonce le travail social, son mépris pour les gens et sa visée de contrôle social. Mais on se rend compte que lui aussi parle avec mépris des personnes qu’il compte organiser. Seulement, au lieu d’utiliser l’injonction et la contrainte, il utilise la manipulation et l’influence.
  • Il critique les organisations existantes disant qu’elles ne regroupent presque personne, mais admet finalement que regrouper 5% de la population, c’est déjà énorme.

Il ne s’agit pas, ici, de dire que les organisations du peuple, telles que les décrit Alinsky dans ce premier livre, n’ont aucun intérêt : dans les faits, monter de telles organisations est déjà énorme. Mais ce texte n’a rien d’une pépite politique : l’analyse qui y est portée manque cruellement de profondeur et d’ambition. Rome ne s’est pas faite en un jour, et s’il nous faut avancer pas à pas, c’est par pragmatisme (notion chère à Alinsky et à ses disciples), non par manque d’analyse.


Je note ci-dessous des éléments tirés du livre qui m’ont particulièrement marqués. Certains parce qu’ils me semblent intéressants, d’autres parce qu’ils m’ont profondément étonnée et dérangée.  Ces éléments sont des citations, mais sorties de leur contexte. (Quelques éléments en italique sont des reformulations synthétiques ou des commentaires de ma part). À vous de lire le livre pour vous faire une idée. Ou de vous concentrer sur les autres écrits d’Alinsky (notamment son livre Rules for Radicals publié en 1971, beaucoup plus intéressant) ou d’autres à propos du community organizing : beaucoup plus intéressants selon moi dans une dynamique d’organisation collective et de lutte.

À noter que la préface de Marie-Hélène Bacqué est très intéressante, et que la postface par l’Alliance citoyenne nous parle du community organizing tel qu’il est pratiqué aujourd’hui en France, et qui est sensiblement différent de ce qu’en dit Alinsky dans ce livre.


1ère partie : Appelez-moi rebelle

Qu’est-ce qu’un radical ?

À distinguer du conservateur (bien-sûr), mais surtout du libéral.
Le radical aime les gens, pour de vrai. Rhétorique de l’amour

Deux types de gens (selon Thomas Jefferson) :
– Ceux qui ont peur et se méfient du peuple, et souhaitent lui retirer tous les pouvoir pour les remettre entre les mains des classes supérieures => aristocrates
– Ceux qui s’identifient au peuple, lui font confiance, le chérissent et le considèrent comme le dépositaire le plus honnête et le plus sûr, quoi que pas le plus sage, de l’intérêt public => démocrates

Contre-histoire :
Les radicaux américains étaient de ceux qui, dans les colonies, arrachèrent par leur détermination l’inscription de la Déclaration des droits dans notre Constitution.
Ils se tenaient aux côtés de Tom Jefferson lors de la première grande bataille qui opposa les tories de Hamilton au peuple américain.
Ils fondèrent le Locofocos et y menèrent la lutte.
Ils étaient de la première grève syndicale menée en Amérique et se battirent pour que les terres de l’Ouest soient distribuées à la grande masse des citoyens plutôt qu’à quelques privilégiés.
Partout, ils combattirent et donnèrent leur vie pour leurs concitoyens américains, indépendamment de leur race, ou de leur foi.
Ils se tenaient dans l’ombre de l’Undergroune Railroad et chevauchèrent au grand jour aux côtés de John Brown jusqu’à Harpers Ferry.
Ils arpentaient les couloirs du Congrès avec Thaddeus Stevens se battant jusqu’au bout pour la liberté économique et politique pleine et entière de leurs concitoyens américains noirs.
Ils étaient aux côtés de Horace Mann dans sa lutte pour l’élargissement de l’accès à l’éducation.
Ils embrassèrent la cause des premières écoles publiques.
Ils étaient à l’avant-garde du Parti populiste pour mener la rébellin de l’Ouest contre le conservatisme de l’Est.
Ils bâtirent le mouvement syndical américain, depuis les Chevaliers du travail jusqu’à la Fédération américaine du travail et l’IWW, et furent les fers de lance de la dynamique irrépressible qui aboutit au Congrès des organisations industrielles (CIO).
Ils étaient avec Wendell Phillips dans sa lutte pour l’égalité des chances au travail.
Ils étaient aux côtés de Peter Cooper, bataillant contre la cruauté des barons de l’industrie.
ils firent bloc avec Walt Whitman quand, constatant la trahison de la démocratie américaine, il rédigea Democratic Vistas.
Ils étaient avec Henry George quand celui-ci s’en prit aux monopoles dans Progress and Poverty.
Ils étaient avec Edward Bellamy, qui voyait une Amérique où le bien commun étaiti peu à peu subordonné à l’égoïsme privé et le dénonça dans Looking Backward.
Ils étaient avec John P. Altgeld, le grand gouverneur de l’Illinois qui refusa de recourir aux prérogatives de l’Etat contre les syndicats, défia l’opinion publique et gracia les anarchistes injustement condamnés pour l’attentat à la bombre du Haymarket.
Ils étaient avec ces grands empêcheurs de tourner en rond qu’étaient Henry D. Lloyd, Lincoln Steffens et Upton Sinclair lorsqu’ils braquèrent sans complaisance leurs projecteurs sur de sombres histoires d’oppression, d’injustice et de corruption.
Bon nombre de leurs actes ne sont pas inscrits dans l’histoire de l’Amérique et ne le seront jamais.
Ils faisaient partie de ces misérables qui subirent le Dust Bowl.
Ils suèrent avec les métayers.
Ils se trouvaient aux côtés des Okies face aux milices californiennes.
Ils s’opposèrent et s’opposent toujours à la furie des lynchages. Ils étaient et sont toujours sur les piquets de grève, soutenant stoïquement les regards menaçants et furieux des policiers.
Ils se tinrent aux côtés de monseigneur Sheil, évèque catholique de Chicago, qui, ignorant les menaces agitées par les plus hautes autorités, rejoignit les milliers d’ouvriers du secteur du conditionnement, rassemblés contre le trust jusque là invulnérable de la viande.

Le radical place les droits humains bien au-dessus du droit à la propriété.
Il est partisan d’un enseignement public universel et gratuit, qu’il considère comme un élément fondamental du mode de vie démocratique.
Il condamne l’abus dans l’enseignement public local, qu’il prenne la forme de la discrimination ou de la corruption, et demande instamment à l’autorité publique de le corriger quand cela est nécessaire.
Mais dans le même temps, il combat âprement le contrôle intégral de l’éducation par le niveau fédéral.
Il lutte à la fois pour les droits individuels et contre la centralisation du pouvoir.
En général, il se bat pour la défense des droits locaux et contre l’accaparement du pouvoir par le niveau fédéral, mais il sait aussi que depuis l’instant où les tories dénoncèrent l’atteinte aux droits locaux que constituait le Congrès continental, les « droits locaux » sont devenus cheval de Trois de la réaction.
C’est pour cette raison que le radical américain change fréquemment de position sur cette question.

Bien des libéraux affirment poursuivre les mêmes objectifs que ceux qui relèvent de la philosophie du radical. (…) [Mais] à l’instar de nombreux conservateurs, les libéraux revendiquent la précieuse qualité d’impartialité, de froide objectivité et d’impartialité mystique qui leur permet de percevoir les deux côtés d’un différend. Dès lors que toute question comporte toujours au moins deux aspects et que toute inclinaison de la justice d’un côté entraîne un certain degré d’injustice pour l’autre, les libéraux se montrent hésitants dans l’action. Leurs avis sont émaillés de « Oui, mais d’un autre côté… ». Enfermés dans ce dilemme, ils sont paralysés. Ils deviennent absolument incapables d’agir. Ils discutent sans fin, jusqu’au dégoût.
(…) Les libéraux ont peur du pouvoir ou de son exercice. Ils réfléchissent confusément sur l’importance du pouvoir et ne perçoivent pas que les gens ne peuvent s’améliorer que par l’obtention du pouvoir et par son usage constructif. Ils parlent avec désinvolture d’un peuple qui s’élèverait à la force du poignet, mais sans prendre conscience que rien ne peut être soulevé ou déplacé sans le pouvoir. Cette crainte du pouvoir se reflète dans ce qui est devenu la devise des libéraux : « Nous sommes d’accord avec vos objectifs, mais pas avec votre stratégie ». Il en a été ainsi tout au long de l’histoire des États-Unis. (…) Tout enjeu impliquant le pouvoir et l’exercice du pouvoir a toujours laissé dans son sillage ce ressac libéral, cet accord avec l’objectif et ce désaccord avec les moyens pour l’atteindre.
(…) D’autres éléments différencient les libéraux des radicaux. Les libéraux protestent ; les radicaux se rebellent. Les libéraux s’indignent ; les radicaux passent à la lutte acharnée et entrent dans l’action.

Où sont les radicaux aujourd’hui ?

Partout dans le monde occidental, les radicaux ont lié leur destinée au mouvement syndical. (…) Le moment est venu de nous pencher sur la nature du mouvement syndical [tel qu’il est constitué aujourd’hui] pour établir si et dans quelle mesure ses objectifs et sa philosophie épousent ceux des radicaux.

S’en suit un pamphlet antisyndical, postulant que les syndicats sont devenus partie intégrante du système américain de l’entreprise privée, leurs buts et leurs tactiques étant rarement au-delà de la nécessité de conclure le meilleur arrangement collectif possible avec les employeurs. Les syndicats se sont mués en partenaires du patronat.

Le radical américain sait que ce n’est pas la totalité du mouvement syndical qui convole ainsi au bras des grandes entreprises monopolistiques ; ce sont plutôt les directions syndicales réactionnaires actuelles et leur philosophie décadente qui empoisonnent le mouvement dans son ensemble. Le radical sait, et il a parfaitement raison, que malgré la pourriture qui gangrène le mouvement syndical, celui-ci reste, à tous égards, l’un des meilleurs vecteurs des espoirs et des aspirations démocratiques des gens ordinaires. il sait que le mouvement syndical, ne fût-ce par le nombre de ses affiliés, est beaucoup plus représentatif que tout autre groupe organisé agissant pour ses intérêts sur la scène nationale. Il sait aussi qu’en dépit de la perversion des principes syndicaux par quelques dirigeants antidémocratiques, en dernière analyse, la masse de la base exerce constamment une pression progressiste sur la direction prise par le mouvement syndical. Etc.

À quoi sert au travailleur de lutter pour une augmentation de salaire si cette augmentation s’accompagne d’une augmentation de son loyer, de ses frais alimentaires, vestimentaires et médicaux ?
(…) Il devient clair que l’objectif le plus sacré du radical américain doit consister à développer, au sein du mouvement syndical, une philosophie et une perception globales qui le contraindront à reconnaître sans réserve que le bien-être de ses membres ne dépend pas seulement de l’amélioration de leur situation économique, mais d’une amélioration générale de tous les aspects de la vie du travailleur.

La crise

Un programme politique en 9 points d’où est absente la référence au capitalisme (et en l’occurrence à l’anticapitalisme).
Contre la guerre, pour la démocratie, l’amour entre les Hommes, contre l’injustice, contre l’argent et le matérialisme, pour la cohésion sociale comme vecteur de paix.

Anti-intellectualisme ?
La structure ne sera jamais rien de plus qu’un reflet de la substance.
Vieille ornière qui consiste à croire que les lois font les hommes et non l’inverse.
L’espoir en l’avenir consiste à travailler avec la substance du monde, les gens, plutôt qu’à se focaliser sans cesse sur la structure.

Il cite Tocqueville dans « De la démocratie en Amérique ». Nécessité que le peuple participe à la démocratie, faute de quoi il deviendrait incapable et tomberait « graduellement au-dessous du niveau de l’humanité ».

Telle est notre véritable tâche, l’occasion de travailler directement avec nos concitoyens. Rompre avec leur impression de n’être que des automates sociaux pour qui l’avenir serait dépourvu d’enjeu plutôt que des êtres humains pleinement dotés du sens des responsabilités, de la force et de la dignité inhérents aux citoyens libres d’une démocratie. Cela ne peut être accompli que par l’organisation démocratique de nos concitoyens en vue de la démocratie. Il s’agit de bâtir des organisations du peuple.

2ème partie : La construction des organisations du peuple

Le programme

Le programme du peuple ne peut être bâti que par ce processus d’organisation. Lorsque des gens sont réunis ou organisés, ils ont l’occasion de se familiariser avec leurs opinions respectives, ils atteignent des compromis sur nombre de leurs divergences, ils découvrent que nombre d’opinions qu’ils se croyaient les seuls à entretenir sont partagées par d’autres et que nombre de problèmes dont ils pensaient être les seuls à faire l’expérience sont des problèmes communs à tous. De ces interactions sociales émerge un commun accord, et c’est cela le programme du peuple. C’est à ce moment que la première fonction de l’organisateur prend toute son importance : le recours au pouvoir pour réaliser le programme.
Pour autant, cela ne veut pas dire que l’organisateur ne puisse pas poser certains principes généraux au cours des étapes initiales de l’organisation. Il s’agit alors d’enjeux généraux qui jouissent du soutien de tous comme la santé, le plein-emploi, la qualité du logement, l’égalité des chances, et, par-dessus tout, la possibilité pour les gens de créer leur propre programme. En soi, ce fait témoigne à la fois du désir qu’a le peuple de façonner son propre destin et du peu d’occasions qu’il a de le faire dans la réalité.
Toutefois, l’objectif de permettre l’élaboration d’un programme du peuple exclut absolument que l’organisateur aille au-delà des principes généraux pour proposer un projet d’avenir détaillé. Un tel programme ne peut et ne doit émaner que du peuple lui-même. Le fait, pour quelques individus, de soumettre un programme entièrement détaillé est un acte éminemment dictatorial. Il ne s’agit pas d’un programme démocratique, mais de l’expression manifeste d’un manque de confiance dans l’intelligence des masses populaires et dans leur capacité à concevoir elles-mêmes une solution adaptée à leurs problèmes. Ce n’est pas un programme du peuple et le peuple ne s’y retrouvera guère.

Le peuple lui-même est l’avenir. Le peuple lui-même résoudra chacun des problèmes que fait naître un monde qui se transforme. Il le fera si lui, le peuple, a l’occasion et le pouvoir de prendre les décisions et de les faire appliquer, au lieu que ce pouvoir reste le privilège de quelques-uns.

L’élaboration d’un programme du peuple ira de pair avec l’organisation du peuple. Le programme du peuple et l’organisation des individus pour faire naître un mouvement du peuple sont les deux faces d’une seule et même médaille. Elles sont indissociables.

Certains principes moraux universellement reconnus formeront les pierres angulaires de toute organisation du peuple digne de ce nom. La nature même de l’organisation est d’être une incarnation sociale du cri de ralliement de la Révolution française, « Liberté, égalité, fraternité », ou de ce que les grandes religions du monde décrivent comme le respect de la « dignité humaine ».

La première des erreurs consiste à voir chaque problème de la communauté comme indépendant de tous les autres.

S’engager dans l’étude de la criminalité, c’est se confronter à la désorganisation sociale au sens large. Tel ou tel aspect de ce triste tableau – le chômage, la malnutrition, la maladie, la paupérisation, le découragement et tant d’autres, y compris la criminalité – n’est qu’une partie d’un tout.

Nul n’oserait se présenter devant quelqu’un qui est au chômage, qui ne sait pas comment il paiera son prochain repas, dont les enfants sombrent, comme lui, dans le désespoir, pour lui proposer non de la nourriture, un emploi ou de la sécurité, mais des récréations surveillées, de l’initiation à l’artisanat ou du développement personnel ! Et pourtant, c’est bien ce qui se fait ! Au lieu d’un peu de pain et de beurre, on se présente les caisses pleines de balles et de battes de baseball !
Former quelqu’un à un boulot quand aucun boulot n’est disponible revient à vêtir un cadavre d’un costume trois pièces. Au final, ça reste un cadavre. C’est comme sortir le service du dimanche pour se retrouver devant des assiettes vides.

Un conseil de quartier qui intenterait la moindre action significative contre n’importe quel problème local se trouverait confronté à la tâche essentielle de s’attaquer aux fondements de la décrépitude économique du quartier et de ses habitants.

Ils viennent pour « adapter » ces gens qui, une fois adaptés, pourront vivre en enfer et même y prendre goût.

L’évidence que la vie de chaque quartier est façonnée de manière décisive par des forces qui dépassent de loin la scène locale.
Quantité de problèmes intervenant au sein d’une communauté locale, apparemment enracinés dans le quartier, ont en réalité leur source bien loin de cette communauté.

Leaders locaux

La construction d’une organisation du peuple ne peut être prise en charge que par le peuple lui-même. Ses leaders sont le seul canal par lequel les gens peuvent s’exprimer.
Ces meneurs issus du terrain sont dans un sens très authentique les vrais représentants du peuple qui compose la communauté.

Les prétendus conseils de communauté ne tardent pas à se transformer en petites sauteries mensuelles où une poignée de grands bourgeois, vautrés dans leur égo de sauveurs du peuple autoproclamés, contemplent avec pitié ces pauvres gens du quartier plongés dans l’ignorance et qui n’ont même pas l’intelligence de reconnaître que la direction qui leur est offerte est bonne pour eux. Ces conseils de communauté ont tôt fait de ses dessécher et de disparaître.

Traditions et organisations des communautés

Ceux qui bâtissent une organisation du peuple doivent être réalistes et commencer avec ce qu’ils ont sous la main. Peu importe qu’ils approuvent ou désapprouvent certaines circonstances, traditions et organismes locaux, le fait est que c’est là le matériau avec lequel ils doivent composer. Les bâtisseurs d’organisations du peuple ne peuvent se permettre de tomber dans l’attitude stérile des libéraux qui prennent leurs désirs pour des réalités et préfèrent commencer là où ça leur chante plutôt qu’avec les conditions réelles qui s’imposent à eux.

La plupart des organisateurs s’offusquent des obstacles que les organisations locales sèment sur leur route et sont incapables d’admettre qu’ils sont en partie fautifs.

Au départ, l’organisation du peuple ressemblera à une organisation d’organisations.

Dans la mesure où elle émerge des racines de la communauté, une organisation du peuple n’est pas un mouvement extérieur qui s’installerait dans la communauté.

Tactiques organisationnelles

Le radical fait ce qu’il fait à cause de son amour pour ses frères et rien n’est plus déchirant que le rejet par autrui de l’amour qu’on lui offre.

Pleinement conscient que bon nombre de nos concitoyens ont été dévoyés par la société dont ils sont le produit, le radical se rendra compte qu’aux premières étapes de l’organisation il n’aura d’autres choix que de considérer l’ambition et la recherche de l’intérêt personnel comme des réalités. Seul un idiot arriverait dans une communauté dominée par le matérialisme et l’égoïsme en prêchant l’idéalisme.

Le radical sait que pour travailler avec les gens, il doit d’abord fonder son approche sur la compréhension réciproque. C’est aussi simple et essentiel que d’apprendre la langue de ceux avec qui on veut converser. C’est sous cet angle que les procédures et tactiques qui sont exposées dans les pages qui suivent doivent être comprises. Elles sont autant d’outils pour donner envie aux gens de se lever et d’avancer. Certains y voient une façon de combattre le feu par le feu. Ce n’est pas tout à fait exact, car ces procédures ne concernent que les premières phases de l’activité organisationnelles. Le radical est bien conscient qu’il ne s’agit que d’expédients provisoires pour initier l’organisation. Ce sont des instruments pour créer l’environnement favorable à l’expression de l’altruisme naturel des gens. Quand l’organisation sera ferme sur ses bases, ceux-ci coopéreront pour le bien social plutôt que pour leur intérêt personnel.

La plupart des gens cherchent fiévreusement tous les moyens qui pourraient leur permettre de combler le vide entre la morale qu’ils professent et leurs actes. Il leur faut absolument les trouver, car le conflit intérieur permanent suscité par ces contradictions risque d’entraîner et entraîne souvent des formes de rationalisation qui confinent à la névrose.

Les organisateurs [traditionnels] qui venaient à Muddy Flats disaient aux gens : « Mais vous ne comprenez pas que c’est à cause de la façon dont les gens de la colline vous traitent que vous endurez tant de misère et de souffrance ? ». Unanimes, les gens de Muddy Flats répondaient : « Oui ». Et l’organisateur de poursuivre : « Nous préparons une réunion pour vendredi soir prochain et nous voudrions que vous soyez tous présents pour qu’on s’organise et qu’on prenne les choses en main. Vous viendrez ? ». Une fois encore, les gens répondaient : « Oui ». Et quand arrivait le vendredi, il n’y avait pas un chat dans la salle de réunion.

L’idée est de faire en sorte que la population ait le sentiment d’avoir elle-même diagnostiqué ses problèmes. L’organisateur [celui qui pratique les méthodes d’Alinsky], quand il a proposé sa propre analyse du problème, n’a pas dit : « Le problème avec vous, ici, c’est que les gens de là-haut vous exploitent ». Il a dit : « Beaucoup de gens de Muddy Flats me disent que pour comprendre pourquoi les choses sont si dures ici, il faut que je jette un œil là-haut sur la colline, c’est vrai ça ? Qu’est-ce que tu en penses, Joe ? » ; ou encore : « Ce dicton qu’on entend par ici : « Les vaches sont nourries en bas, mais c’est là-haut qu’on les trait », c’est exactement ça. Vous avez mis le doigt sur le problème. »

Un individu réagit différemment selon qu’une proposition émane d’un parfait inconnu ou de son pasteur, de son prêtre ou de tout autre membres de sa communauté qu’il respecte en tant que leader d’opinion.
Les opinions, les réactions et les attitudes des personnes et des groupes sont très largement déterminées par ce que pense leur communauté.

Ce qui compte pour nous est que tous les ego individuels ont en commun une certaine définition d’eux-mêmes et de la place qu’ils occupent dans la structure sociale. À de rares exceptions près, les gens aiment penser qu’ils jouissent de prestige et de reconnaissance dans leur communauté. Les rêveries adolescentes de la plupart des gens, qui s’imaginent en vedette de cinéma, en athlète accompli, en leader politique national et j’en passe, ne disparaissent pas avec l’adolescence, tout en plus perdent-elles en intensité. Ces rêves expriment les aspirations intérieures d’êtres humains qui ont soif de reconnaissance – de préférence pour de bonnes raisons.

Les manœuvres et les tactiques décrites dans ce chapitre ont été employées dans le seul but de bâtir une organisation du peuple. On en peut s’en servir à des fins de manipulation ou dans un but antidémocratique que dans une faible mesure. Au bout du compte, le recours à ces tactiques dans une perspective malveillante ou égoïste est voué à l’échec. La visée fondamentale qui les sous-tend toutes est tellement noble que ces tactiques ne jouent pour ainsi dire qu’un rôle décoratif. La tactique fondamentale, c’est la foi profonde de l’organisateur dans le peuple et le dévouement total à cette foi.

Tactiques de conflit

Une organisation du peuple est un groupe de conflit. Ce principe doit être ouvertement et pleinement admis. L’unique raison qui justifie sa création est de faire la guerre à tous les maux qui génèrent la souffrance et le malheur. Une organisation du peuple consiste à regrouper une multitude d’hommes et de femmes afin de lutter pour les droits qui garantissent une vie décente. Ce conflit permanent se déroulera le plus souvent dans le cadre de procédures juridiques ordonnées et communément approuvées. Cependant, dans tous les combats, il vient un moment où « le bruit des armes ne permet point d’entendre la loi ».

Ils se battent parce que dans une ville concurrentielle comme Chicago, tout nouveau groupe d’intérêt doit livrer des batailles pour survivre. Leur idée de la contrainte est très simple. « Nous pensons que la démocratie est un régime politique qui réagit constamment à la contrainte exercée par le peuple », m’a dit un membre du comité. « Le plus grand espoir pour la démocratie est que les Américains surmontent leur léthargie et que de plus en plus de gens et de groupes parviennent à s’exprimer et à formuler leurs besoins ».

Dans notre guerre contre les périls sociaux qui menacent l’humanité, il ne peut y avoir aucun compromis.

Hélas, les conditions ne sont pas toujours réunies pour convoquer un conseil d’administration, discuter à loisir d’une question, la renvoyer en commission et la traiter selon les règles du guide de procédure parlementaire. Ce luxe est refusé à ceux qui sont sous le coup d’attaques éclairs, que les libéraux qualifieraient de déloyales, de la part de leurs opposants.

Il est rare d’assister au déchaînement d’une population en furie, et cela entraîne généralement la capitulation sans conditions de l’opposition. Quand cela se produit, les leaders de l’organisation du peuple se retrouvent dans une position extrêmement délicate. Tout en ayant obtenu la victoire, il leur faut trouver un exutoire au surcroît d’agressivité de l’organisation du peuple.

Éducation populaire

La fin et la nature même d’une organisation du peuple sont éducationnelles. Le fait de rassembler un grand nombre et une grande variété de composantes de la population américaine se traduit par l’acquisition d’un savoir et par la modification consécutive des attitudes de chacune de ces composantes. Entrepreneurs, responsables syndicaux, responsables religieux, chefs de groupes nationaux, de sociétés fraternelles et de clubs sportifs apprennent à se connaître les uns les autres. A travers les échanges de vues permanents et par la mise en commun des expériences, il s’instaure non pas une « meilleure compréhension » entre ces divers groupes, mais une compréhension tout court. Cette compréhension mutuelle s’accompagne d’une nouvelle évaluation et d’une redéfinition des enjeux sociaux.

Par l’intermédiaire de l’organisation du peuple, ces groupes découvrent que ce qu’ils considéraient au départ comme leur problème à eux est aussi le problème des autres et qu’en outre le seul espoir de résoudre un problèmes aux proportions si gigantesques réside dans la mise en commun de tous leurs efforts et de toutes leurs forces. Ce constat et la conclusion qui en découle relèvent d’un processus éducationnel.
Chose plus importante encore, à force de travailler main dans la main sur des programmes communs visant l’intérêt mutuel, les responsables syndicaux et entrepreneurs tissent des liens d’être humain à être humain. […] Le leader syndical et l’entrepreneur apprennent à se connaître par leur prénom – Johnny et Fred. Ils se rendent compte qu’ils admirent la même équipe de baseball, qu’ils jurent tous les deux quand ils crèvent un pneu, qu’ils se régalent tous les deux des bons mots de leurs bambins et que tous les deux attendent à peu près la même chose de la vie. Ils ne se distinguent que sur les moyens d’atteindre leurs fins.

Dans le domaine de l’éducation populaire, la tâche principale de toute organisation du peuple est de créer un ensemble de circonstances favorables au déroulement d’un processus éducationnel.

Il ne faut cependant pas confondre communauté et salle de classe. Les gens ne sont pas des étudiants qui viennent en classe pour être éduqués. L’organisation du peuple doit susciter les conditions et le climat qui donneront envie aux gens d’apprendre pour apprendre, parce que c’est essentiel à leur vie.
Les organisations du peuple sont confrontées à une question beaucoup plus commune, à savoir non seulement donner accès aux faits, mais le faire en respectant la dignité et l’estime de soi des gens.

Le mot d’ordre éducationnel est : « Orientons-les d’abord dans la bonne direction. Ils s’expliqueront plus tard sur les raisons qui les ont poussés dans cette direction et cette explication sera un meilleur enseignement que tout ce que nous pourrions faire ».

Considérations psychologiques sur l’organisation des masses

Ce que vous obtenez par vos propres efforts vous appartient vraiment. Cela fait partie de vous, vous est attaché à travers les expériences par lesquelles vous êtes passés pour l’obtenir. Mais aussi important que puisse être ce sentiment, le désir passionné de sentir qu’ils ont contribué personnellement à la réalisation d’un but repose, chez tous les êtres humains, sur une base encore plus profonde. Cela relève de ce que de grandes écoles de pensée religieuses appellent la dignité humaine. C’est vivre dignement que d’accomplir les choses par sa propre intelligence et ses propres efforts.

Je crois savoir exactement ce que ces garçons entendent quand ils disent « notre propre lieu ». Ils préféreraient avoir un devanture de magasin crasseuse et des équipements de très mauvaise qualité mais qui soient réellement à eux, qui leur appartiennent vraiment, un lieu où ils puissent vraiment faire ce qu’ils veulent, plutôt qu’un club de jeunes à 10 millions de dollars où ils sont soigneusement supervisés et où, en dépit des équipements très coûteux, ils ont le sentiment (quelqu que soient les efforts des organismes pour le dissimuler) qu’il n’est pas le leur et qu’ils ne peuvent l’utiliser que parce que « nous, les bailleurs de fonds, avons construit ce bâtiment et vous avons autorisés à en faire bon usage ».

Dans les États-Unis d’aujourd’hui, une participation de 5% est un résultat démocratique impressionnant, même si se fait souligne aussi, hélas, le degré invraisemblablement élevé d’apathie et de désintérêt du peuple américain.

L’obstacle au flux d’agressivité ainsi créé annule la fonction première de l’organisation, qui est de canaliser chimiquement cette agressivité pour la transformer en dynamique de coopération au service de la communauté.

L’organisateur doit mettre le plus grand soin à créer des relations absolument sûres et solides avec le leader local avant d’essayer d’utiliser ces relations pour stimuler le travail organisationnel. Par relations solides, il faut entendre que l’organisateur est considéré par le leader comme son ami intime et que cette amitié inclut l’échange de confidences personnelles, l’affection et cette part d’identification personnelle qui est au fondement de toute amitié.

Radicaux, réveillez-vous !

Les espoirs et les aspirations des radicaux du monde ont donné le fruit de la Révolution américaine. Ici, dans le Nouveau Monde, l’homme allait trouver la vie nouvelle, l’ordre nouveau, même notre monnaie portait ce message : novus ordo seclorum.

Laissez les masses à leur inertie, à leur absence de réflexion, ne les dérangez pas, ne les excitez pas, ne les mettez surtout pas en branle. Car si vous le faites, vous êtes un agitateur, un fauteur de troubles, un rouge ! Vous êtes antiaméricain, vous êtes un radical !

Tout au long de ce livre, nous avons affirmé et réaffirmé que la substance détermine la structure et que la forme de l’économie et de la politique ne reflétera jamais que deux choses : soit les aspirations résolues d’une citoyenneté gagnée à l’esprit démocratique, soit la torpeur d’un peuple dont la dignité et la force innées se sont atrophiées à force d’être inemployées, un peuple qui suivra alors servilement n’importe quel dictateur.

Souvenez-vous de ceci : si la démocratie meurt en Amérique, elle meurt dans tout le monde. [A replacer dans le contexte de la sortie de la seconde guerre mondiale et du début de la guerre froide]

En étouffant les possibilités pour les masses américaines de participer à la vie démocratique, on a aussi immanquablement étranglé leur intérêt pour l’Amérique. Les préoccupations sociales ont cédé le pas aux intérêts égoïstes. Les gens ne pensent plus en Américains pour l’Amérique. Les gens parlent au nom de leurs cliques. Le bien-être de leurs groupes restreints éclipse totalement le bien-être national.

Les législateurs n’y sont pour rien s’ils doivent écouter les 20 millions qui sont organisés parce que ces voix sont les plus fortes et, à quelques exceptions près, les seules du pays. Ce n’est pas la Constitution des États-Unis qui réduit plus de 100 millions de personnes au mutisme. C’est un concours diabolique de circonstances qui s’est imposé sur la scène américaine pour dénier et dénoncer toute participation populaire. Certes, tous les quatre ans, les Américains peuvent glisser leur bulletin de vote dans une urne, mais durant les plus de 1400 jours qui séparent ces élections, ils sont empêchés de s’exprimer et d’assumer les fonctions et les responsabilités de la citoyenneté américaine.

La tâche qui nous attend est on ne peut plus claire. Tous les efforts imaginables doivent être entreprise pour raviver le feu de la démocratie tant que quelques braises luisent encore parmi les cendres grisâtres du rêve américain. Une fois ce feu éteint, il faudra peut-être des générations pour le rallumer. La pression populaire est le feu, l’énergie et la vie de la démocratie. La démocratie elle-même est un gouvernement qui réagit sans cesse aux pressions constantes de son peuple. L’unique espoir de la démocratie réside dans la multiplication du nombre de personnes de de groupes organisés capables de s’exprimer et d’exercer une pression sur leur gouvernement. Taxer les quelques grands groupes de pression de ce pays de « dangereux lobbyistes » ou d' »antiaméricains », c’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Car même si ces groupes de pression poursuivent avant tout leurs intérêts, leur création et les pressions qu’ils exercent sur le gouvernement relèvent bien de la participation et de l’activité démocratiques, ce qui est infiniment plus américain et plus démocratique que de moisir dans l’inactivité ou de refuser de s’impliquer dans des groupes de pression. Par citoyenneté démocratique, nous voulons dire un peuple informé, actif, participatif et intéressé – un peuple qui s’intéresse et qui participe, c’est ça la pression populaire !

Peut-il exister un programme plus fondamental, plus démocratique, qu’un peuple à l’esprit démocratique et participatif ?

C’est dans une organisation exhaustive du peuple que les gens peuvent se battre et penser comme un peuple, comme des Américains, et pas comme des hommes d’affaires, des ouvriers, des catholiques, des protestants, des juifs, des Blancs ou des gens de couleur.

Le problème à résoudre est la création d’un monde pour les petites gens, d’un monde où des millions de personnes et non plus quelques privilégiés vivraient dans la dignité, la paix et la sécurité.

Ceux qui craignent que la construction d’organisations du peuple ne soit une révolution perdent aussi de vue qu’il s’agit d’un développement ordonné de la participation, de l’intérêt et de l’action de la masse des gens. C’est vrai qu’il s’agit peut-être d’une révolution, mais alors d’une révolution ordonnée. Refuser la révolution ordonnée, c’est être pris au piège d’une alternative infernale : soit une révolution désordonnée, soudaine, tempétueuse et sanglante, soit une dégradation plus grande du fondement populaire de la démocratie jusqu’au point inévitable de la dictature. La construction des organisations du peuple, c’est la révolution ordonnée. À travers ce processus, le peuple vient occuper progressivement, mais irrévocablement, sa place en tant que citoyen au sein de la démocratie.

[Certains] ont peur que le développement et la construction d’organisations du peuple se confondent avec la mise en place d’un grand groupe de pouvoir susceptible d’être la proie de démagogues fascistes qui en prendraient la tête et le contrôle pour transformer ces organisations en Frankenstein fascistes [sic] dirigés contre la démocratie. Ceux qui expriment ces craintes ont tiré bien peu d’enseignements de la période historique contemporaine. La voie qui mène au fascisme et à la dictature est pavée d’indifférence, de sentiment d’inanité et d’inutilité dans la majorité de la population.

Le sentiment de respect de soi et de ses semblables et cette confiance dans le pouvoir du peuple nés de l’organisation du peuple sont le rempart le plus puissant qu’une démocratie puisse opposer au fascisme.

Seule la mise en commun de toutes les forces de toutes les institutions du peuple et l’éveil de notre peuple à la participation peuvent apporter l’espoir de salut sur terre.

La création de ces organisations du peuple et la réalisation de la participation populaire ne peuvent pas être et ne seront pas accomplies en dénonçant la situation actuellement déplorable de la démocratie. Elles ne seront pas réalisées en se perdant en récriminations ou en publiant un énième livre exhortant : « Américain, réveillez-vous ». Elles ne seront accomplies qu’en nous attelant à la tâche ingrate, monotone et déchirante de construire des organisations du peuple. Elles ne seront accomplies qu’en faisant preuve de patience et de foi infinies lorsque des pans de l’organisation se désintègrent ; reconstruire, additionner et continuer à construire.

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