Singes

Enrayer la chute

Comparer le lent crash de l’A320 de la Germanwings avec la chute de notre « civilisation » ? Un texte percutant de Bernard Defrance, que je relaie ici.

Il y fait le parallèle entre le crash de l’A320 de la Germanwings à proximité de Barcelonnette le 24 mars 2015 (lire ici) et la chute de notre société.
Bernard Defrance, philosophe, ancien professeur de psychopédagogie et de philosophie de l’éducation en École normale d’instituteurs et professeur de philosophie en lycée, a publié ce texte sur son site le 27 mars 2015.

Enrayer la chute ?

Le co-pilote dépressif enfermé, enclenchant la descente qui va condamner 150 êtres humains à la mort, le pilote à la hache sur une porte rendue indestructible par les excès des mesures sécuritaires qui se retournent contre elles-mêmes… qui ne voit qu’il s’agit là d’un accéléré dramatique de ce qui se joue dans l’immédiat de notre « civilisation » ? D’une effroyable métaphore de nos sociétés qui persistent à déchirer les bulletins de santé qui leur prescrivent, sous peine de mort, de s’arrêter ? Qui sont les vrais suicidaires enfermés dans leur bulle de jouissance dépressive et leur emballement sans limite ?

Qui sont les pilotes qui hantent les salles de marchés, les clubs internationaux à 100 smics de cotisation, qui font construire le yacht qui sortira trois jours en mer dans l’année mais qui aura 10 mètres de plus que celui du rival, qui spéculent sur la faim de centaines de millions d’êtres humains en jouant sur les marchés des céréales à la bourse de Chicago, qui laissent les pauvres de la planète s’entretuer au nom de religions diverses et souvent à l’intérieur de la même religion, qui créent un septième et un huitième continents de détritus, déchets et ordures au milieu des océans, qui laissent – voire ordonnent de – torturer en divers camps et prisons, « secrètes » ou pas, qui chassent l’homme et l’enfant en bateaux de réfugiés en perdition ou camps de rétention aux marches des « démocraties », qui raclent les fonds des mers et fracturent les tréfonds des terres, qui s’acharnent à détruire ce qu’il reste des ressources de la planète à la recherche éperdue de la moindre miette de profit à arracher au concurrent ?

Huit minutes, la descente. Et le seul lucide à se rendre compte de ce qu’il se passe à s’acharner, dérisoirement, tel le colibri désespéré de la fable… Est-ce que, dans cet avion, il n’y avait pas Épicure et Spinoza, Confucius et Michel Ange, Mozart et Senghor ? Peut-être l’un de leurs successeurs parmi ces quinze lycéens ? Tout cela, le Taj-Mahal et l’Art de la Fugue, le viaduc de Millau et le monastère de Batalha, la Divine Comédie et les chansons de Brassens, la Vénus et le David, écrasés ? pulvérisés au flanc de la montagne ?

Certes, la « descente » a commencé : l’espèce humaine est mortelle. J’ai bientôt 70 ans, et six petits-enfants entre 10 et 3 ans : quel sera l’état de la planète quand ils auront mon âge ? Est-ce que la descente est irréversible ? Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard, pour enfoncer la porte blindée derrière laquelle se sont enfermés ceux qui prétendent « piloter » ? Les passagers, nous dit-on, ne se sont probablement rendus compte de rien, sauf aux dernières secondes… C’est bien là l’enjeu majeur qu’on n’enseigne pas dans les couveuses à « élites » de nos systèmes éducatifs : est-il encore temps de prendre conscience, de s’instruire et d’agir ? Lequel de nos candidats aux élections actuelles et futures nous parle de cette « descente » et des moyens de redresser l’inclinaison fatale ?

Bernard Defrance, 27 mars 2015.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.