Culture of resistance

Education populaire & démocratie

Une pédagogie de la démocratie

Parce qu’elles ont pour objectif de politiser le plus grand nombre, les démarches d’éducation populaire constituent une pédagogie de la démocratie.


Démocratie, conflit et citoyenneté

En éducation populaire, et à la suite d’Alexia Morvan, on aime utiliser cette définition de Paul Ricoeur : « Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage. » (Paul Ricœur et Joël Roman, L’idéologie et l’utopie, Éditions du Seuil, 1997).

L’éducation populaire est une pratique qui nous amène précisément à travailler ces contradictions, à travailler la complexité, à élaborer collectivement. L’éducation populaire ambitionne de faire émerger des esprits critiques, revendicatifs, contestataires. Non pas pour se singulariser et prendre la pose du rebelle grande-gueule, mais pour susciter l’action collective. Être citoyen·ne, c’est en effet être en capacité de prendre de position et de s’opposer si nécessaire. L’éducation populaire est une démarche qui encourage la montée en puissance des personnes, individuellement et collectivement. Elle s’appuie sur la mémoire des luttes, et pratique une démocratie vivante, c’est-à-dire autogestionnaire.

La citoyenneté est donc bien autre chose que le civisme, qui est généralement invoqué pour inviter à l’ordre et à la paix sociale (voter utile, ramasser le papier par terre, tenir la porte à la vieille dame).

« Une société sans une certaine tolérance vis-à-vis de la conflictualité ne se condamne pas à la paix et l’harmonie, elle se condamne à l’affrontement », disait le philosophe Miguel Benasayag dans une interview après la mort de Rémi Fraisse à Sivens (lire ici). Et c’est vrai. Parce qu’ils sont indispensables à un fonctionnement démocratique, l’éducation populaire valorisera toujours la conflictualité, les débats contradictoires, la complexité de la pensée et l’absence de solutions miracles, venant résoudre tous les problèmes de l’extérieur.


De la diversité des stratégies

L’éducation populaire peut, et sans doute doit, investir quatre sphères d’action.

Sans le pouvoir

Les expériences alternatives menées en dehors du système dominant ont valeur d’exemplarité, même si leur généralisation semble impossible : les Amap ne vont certainement pas entraîner l’extinction des hypermarchés, la presse indépendante ne va pas ruiner les grands groupes de médias, les écoles alternatives ne vont pas saper les bases de l’Éducation nationale et les quelques coopératives autogérées qui existent ne vont pas liquider le mode de production capitaliste. Néanmoins, ces « alternatives en acte » constituent des contre-exemples, la preuve qu’on peut faire autrement, que le modèle capitaliste n’est pas le seul possible.

Contre le pouvoir

S’opposer au système en place, le remettre en cause, en dénoncer la violence et l’absurdité, c’est aussi constitutif de l’éducation populaire. L’action politique a des effets sur la société, mais plus encore sur les militantes et les militants qui, à mesure qu’ils embrassent une cause, « tuent les flics qu’ils ont dans la tête ». La contestation du système, même la moins radicale, relève de cette démarche.

Avec le pouvoir

Négocier avec le pouvoir pour obtenir des améliorations concrètes, cela nécessite de s’organiser et se structurer pour développer un rapport de force qui nous permette de négocier de réelles avancées.

Dans le pouvoir

Il peut exister des espaces de subversion au sein du système. C’est ce que peuvent pratiquer par exemple, à force de patience et d’opiniâtreté, les partisanes et les partisans d’une alternative pédagogique qui agissent au sein de l’Éducation nationale, ou bien les militantes et les militants autogestionnaires qui travaillent dans les structures institutionnalisées dites d’éducation populaire.

Qu’on le veuille ou non, ces quatre espaces interagissent, et c’est tant mieux. Si la séparation était étanche, le risque serait que chacune, s’autosuffisant, se déconnecte d’un projet de transformation globale (pour la première), réelle (pour la deuxième) et radicale (pour la troisième) de la société.

(Ces quatre stratégies sont développées dans l’ouvrage Organisons-nous ! Manuel critique)


 Le leurre de la « participation »

L’histoire récente de ce qu’on appelle la participation naît autour du général de Gaulle, avec l’idée de « participation des salariés aux entreprises ». Mais, parallèlement, ce sont les mouvements sociaux de 1968 qui ont fait du mot « participation » un mot politique.

L’idée a ensuite quelque peu disparu, pour réapparaître dans les années 1990, cette fois encore sous deux formes : d’un côté, à Porto Alegre, et de l’autre avec la Banque Mondiale et le FMI.

La démocratie participative

Aujourd’hui, le concept de « démocratie participative » permet de continuer sans rien changer. S’en revendiquer veut provoquer une sorte de cure de jouvence pour la démocratie, mais sert surtout à fabriquer du consentement. Le vocable « démocratie participative » ne désigne aujourd’hui pas une volonté de transformation politique de la société.


À lire aussi :
  • Qu’est-ce que l’éducation populaire ? Ici
  • L’éducation populaire : pour quoi faire ? Ici
  • De la prise de conscience à l’émancipation. Ici
  • Éducation populaire et culture. Ici
  • La production et la diffusion des savoirs. Ici
  • Histoire de l’éducation populaire. Ici

3 réflexions sur « Education populaire & démocratie »

  1. Bonjour!

    Merci pour votre travail et pour toutes les informations que l’on trouve sur votre site. Votre évocation dans cet article d’une politique participative et des dangers qu’elle porte m’intéresse particulièrement, auriez-vous des références (textes, sites, vidéos…) à me conseiller pour aller plus loin sur ces questions? Merci!

    Antonin

  2. Très bon travail, bien argumenté et document mais sans être indigeste et qui va droit à l’essentiel,
    merci,
    L’éducation populaire est si complexe, large et si évolutive, avec de nombreuses entrées en fonction de l’histoire de nos vies et de nos expériences, qu’il est difficile d’en donner une image à un instant T.
    Bravo à vous

  3. Très intéressante réflexion sur la notion et la pratique de l efucation.populaire. elle déclenche la réflexion et le travail de remise en question du lecteur. J avais tendance moi nême à confondre éducation populaire et civisme mais je m éperons apres votre lecture du elle va bien au-delà et du elle implique la participation de chacun à don élaboration.
    Bravo! Bon travail de philosophie active et démocratique

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